Finalement, nos Ouessant en sont capables. Ils nous l’ont prouvé en ce début de mois de février. Chaque hiver vient avec son lot de questions stressantes. Une inquiétude récurrente: comment assurer l’apport en eau sur notre site d’hivernage ? En plus d’être isolée au bout d’un chemin de randonnée pédestre de près d’un kilomètre, notre grange n’est équipée ni avec l’électricité ni avec l’eau courante. Ainsi, seules quelques solutions s’offrent à nous. Avec la crainte que ces différents moyens ne nous permettent pas de traverser l‘hiver avec de l’eau à la disposition de nos moutons au quotidien.
Une angoisse devenue réalité
Après plusieurs années d’inquiétude, ne pas pouvoir réapprovisionner les moutons en eau est devenu réalité en ce début de mois de février. Notre grange est devenue inaccessible en voiture en raison des fortes chutes de neige des jours précédents. Seaux d’eau vides, aucune réserve ou source d’eau à proximité.
Quand tout est simple…
En début de saison, soit entre la fin des mois d’octobre et de décembre, la solution la moins fatigante consiste à véhiculer des jerrycans de 10 litres d’eau avec notre petit 4 X 4. Ces jerrycans s’entreposent facilement dans la grange. Ils permettent de remplir tous les deux ou trois jours les seaux d’eau vides ou sales. Par ailleurs, mangeant principalement de l’herbe à cette période de l’année, les moutons boivent peu.
Des possibilités de trouver de l’eau sur place existent. A l’extérieur, une citerne de collecte des eaux de pluie est installée. Deux sources – qui approvisionnent chacune un bassin destiné aux vaches pendant l’été – coulent à quelques dizaines de mètres de là. Par ailleurs, s’il pleut ou si la neige fond, il devient possible de récolter directement les eaux d’écoulement du toit de la grange en plaçant des seaux aux endroits qui « gouttent ».
Toutefois, les moutons nous ont souvent montré qu’ils n’apprécient guère l’eau de la citerne, pas plus que celle de la récolte de l’écoulement du toit. Et ramener des seaux ou des jerrycans depuis les sources à proximité est un effort physique conséquent. En effet, elles sont éloignées d’une cinquantaine de mètres de la grange et les pentes à gravir avec les jerrycans ou les seaux pleins sont ardues.
Quand ça se complique!
Quand les conditions météorologiques se détériorent et que les températures descendent, se pose alors le problème du gel. Nos jerrycans stockés dans la grange doivent être enfouis sous la paille afin d’éviter le gel inévitable de toutes nos autres sources d’eau.
L’eau de la citerne de stockage des eaux de pluie gèle, malgré les morceaux de bois placés dedans. Quand les températures ne sont pas trop basses, seule l’eau en périphérie durcit et celle du centre reste encore disponible. Mais le robinet devient difficile à manœuvrer. Cela, malgré les quantités de matériaux placés autour afin de l’isoler (comme les emballages vides de nos sacs de grains).
Un entêtement trop important de ma part à vouloir ouvrir ce robinet l’hiver dernier malgré le gel de l’eau a immanquablement provoqué la rupture dudit robinet. La citerne s’est vidée. Le robinet cassé n’a pas encore été remplacé faute de trouver la bonne pièce. Ceci a donc éliminé l’une de mes sources d’eau.
De mal en pis…
Les fortes chutes de neige associées à des vents violents ont crée d’importantes congères le long du chemin d’accès. Le 4×4 ne passe plus. Puis, les jours passant et les chutes de neige s’amplifiant, le tracteur ne monte plus non plus.
La sécheresse de cet été a provoqué l’assèchement des nappes phréatiques et donc l’assèchement des deux sources d’eau naturelles qui coulent à proximité de la grange. La deuxième possibilité d’approvisionner les moutons en eau est de ce fait éliminée.
La citerne extérieure est vide puisque le robinet est cassé. Maigre consolation, si elle était pleine, l’eau serait gelée. Ne reste que l’eau des jerrycans enfouis sous la paille. Arrive donc le jour où toute cette eau est bue…
1er jour sans eau
Nous voici donc un lundi, le premier de l’histoire de mes sept années d’hivernage dans cette grange, avec plus une seule goutte d’eau. Seule possibilité de désaltérer quelque peu les animaux : leur offrir de la neige. Je remplis une dizaine de seau chaque jour en espérant que cela compense les trente litres d’eau qui étaient bus quotidiennement. Un jour passe, puis deux… Je guette les signes de déshydratation.
Je tente de récolter quelques centimètres de l’eau qui s’écoule du toit la journée, lorsqu’un peu de neige fond. Les béliers les moins timides se ruent dessus. Je m’inquiète vivement pour les autres et même pour ceux qui ont bu un peu. Si les Ouessant ne boivent pas grandes quantités (trente litres quotidiens pour 83 animaux), ces quelques gorgées me paraissent vraiment insuffisantes. Et ainsi jusqu’au jeudi. Le tracteur peut enfin remonter et nous trace un chemin qui permettra au 4×4 d’acheminer de l’eau jusqu’à la grange.
Retour de l’eau après 4 jours de pénurie
A ma grande surprise, le troupeau ne se jette pas sur les seaux remplis de belle eau fraîche. La vie continue son cours, avec une alimentation de foin et quelques trente litres d’eau au quotidien.
Les seaux de neige sont toujours à disposition. Ils semblent appréciés, même en présence de seaux d’eau. Par ailleurs, une politique d’économie est toujours de rigueur au cas où la météo se dégrade à nouveau. Et comme la grange est depuis peu fermée la nuit, peur du loup oblige, les moutons ne peuvent pas sortir à leur guise pour se servir en neige.
Le retour du loup est de plus en plus relayé par différents médias. Un client malheureux a perdu trois de ses brebis à une trentaine de kilomètres de notre grange. La prudence est de mise. Fini donc la liberté de jour comme de nuit pour notre troupeau. La nuit, les portes de la grange sont closes. Quand les températures sont très en dessous de zéro et que le vent souffle, la fermeture des portes est visiblement appréciée. Quand la météo est plus clémente, les moutons sont malheureusement plus réticents à rentrer le soir. Après avoir survécu à la pénurie en eau, ce serait dommage de succomber sous les morsures du loup!!