Vaste thème. Même chez les Ouessant dont la laine est bien souvent critiquée. De piètre qualité, d’après ses détracteurs, surtout lorsqu’elle est comparée à la laine du mouton Mérinos, le roi de la laine sur le marché de la confection. La laine du Ouessant ? Bonne à jeter ou, tout au mieux, à placer entre deux murs, pour l’isolation des maisons.
Sur le marché de la laine, quelques fileurs à contre courant
Malgré ces assertions qui font l’opinion de la grande majorité, émergent quelques irréductibles qui se lancent dans la fabrication de laines diverses. Ils filent des pelotes avec – entre autres – de la laine de mouton d’Ouessant. C’est le cas de l’entreprise en ligne Mon Petit Rouet de Julia Seeker https://www.monpetitrouet.com/fr/. « Une laine rude, mais avec du caractère…», argumente la fileuse. D’après son expérience, point n’est toujours besoin d’une laine très douce. Pour la confection d’articles qui demandent de la solidité pour durer, comme les semelles de chaussettes ou encore pour des sacs à main fabriqués au crochet, une laine rude offre davantage de résistance.
En tant qu’éleveur de moutons rustiques, on peut s’en réjouir ! Le marché de la laine présente encore quelques opportunités pour de nombreuses variétés ovines. Ce, même si elles n’ont pas été sélectionnées pour leur laine. Elles font partie intégrante du paysage ovin et trouvent divers débouchés.
Nos Ouessant comparés à d’autres Ouessant
Toutefois, cet article vise à débattre de la qualité de la laine de nos moutons d’Ouessant comparée à celle de sujets Ouessant d’autres troupeaux. En effet, il semblerait que chez Ouessant D’Ailleurs, on feutre beaucoup ! Certains sujets achetés auprès d’autres élevages rejoignent le troupeau avec une belle laine composée de filaments longs et distincts. Puis, passée la première tonte, cette laine repousse en feutrant énormément. Elle se présente alors sous la forme d’un manteau épais et court. Ses filaments emmêlés ne se distinguent plus les uns des autres.
La cause du feutrage, un vrai casse tête!
La première piste évoquée fut celle du parasitisme avancée par le tondeur. En effet, il fut le premier à se plaindre du feutrage important des moutons qui rend la tonte plus difficile. De ce fait, il a attiré l’attention sur le phénomène. Selon lui, des moutons mal vermifugés développent des toisons feutrées.
Effectivement, les moutons d’Ouessant d’Ailleurs sont ce que l’on peut appeler « mal vermifugés ». Précisément, ils ne sont jamais vermifugés, exception faite de quelques individus. Si certains moutons présentent des signes de parasitisme tels que la maigreur, un vermifuge peut leur être administré.
Chez Ouessant D’Ailleurs, des analyses de selles remplacent l’administration systématique de vermifuges. Un échantillonnage de selles est généralement envoyé pour analyses au printemps. Des analyses individuelles sont aussi pratiquées en cas de suspicion de parasitisme chez un individu en particulier.
Une cure d’une à deux semaines d’ail en poudre est également pratiquée à l’automne. Lors du passage de la bergère, les moutons reçoivent alors plusieurs bouchons doseurs d’ail en poudre dans les poignées de grains destinés à les attirer. A ce jour, le retour des analyses de selles continue d’indiquer un taux de parasitisme relativement bas. Il n’y donc pas nécessité de recourir aux vermifuges.
Penser génétique du mouton
Pourquoi cette évolution ? Apparemment, la cause n’en est pas génétique. En effet, une meilleure sélection dans la reproduction des sujets dont sont issus les animaux externes au troupeau aurait pu être envisagée. Mais les jolis moutons laineux deviennent bien vite de jolis moutons feutrés après quelques mois passés chez Ouessant D’Ailleurs.
Les facteurs génétiques semblent donc pouvoir être écartés. Toutefois, l’expérience de Julia Seeker, fileuse de laine, témoigne en faveur d’une laine de mouton d’Ouessant qui ne feutre pas.
Elle nous livre: « Les fibres des moutons d’Ouessant que je travaille ne feutrent pas. Elles sont trop solides pour cela. Il se pourrait que la laine des moutons d’Ouessant D’Ailleurs soit plus fine que celle des Ouessant que j’utilise. Lorsque l’on file des fils à un seul brin, c’est une bonne chose si la laine feutre un peu. Le feutrage après le filage aide à fixer le fil. Mais je ne le fais pas avec mes fibres de Ouessant, car elles ne feutrent pas. Et en plus elles sont sans doute un peu trop courtes pour permettre un filage à un seul brin. »
Une information que j’ai confrontée à l’expérience d’autres fileurs de notre région, comme ceux de Laine d’Ici http://www.lainesdici.ch. La piste évoquée est alors un éventuel manque de place dans les abris, responsable du feutrage. Peut-être nos moutons y sont-ils trop serrés, avec un excès d’humidité et de chaleur. Dans de bonnes conditions de détention, les moutons d’Ouessant, semble-t-il, ne feutrent pas. Matière à réflexion…
Après la génétique, l’environnement ?
Les conditions environnementales pourraient alors causer cette dégradation de la qualité de laine. Après consultation d’autres éleveurs sur les raisons potentielles de cet état de fait, il émerge que la vie en plein air tout au long de l’année avec son lot d’intempéries est la cause la plus probable du feutrage.
Une réponse fort intéressante de la part d’un éleveur de Ouessant très expérimenté indique que le feutrage est la résultante d’une action purement mécanique de l’herbe sur la laine mouillée. Comme tous les moutons de Ouessant D’Ailleurs ne feutrent pas au même degré, son explication est fort convaincante. A savoir: « Les vieux sujets et ceux qui ont peu d’épaisseur de toison feutrent souvent totalement, alors que les toisons épaisses ne feutrent qu’en surface. »
Malgré tout, ce raisonnement n’explique pas que les animaux extérieurs au troupeau présentent une meilleure qualité de toison. En effet, aux dires de leurs éleveurs, ils vivent également en extérieur toute l’année. Ils sont donc soumis à des conditions météorologiques fort similaires. Faut-il alors envisager une cause alimentaire : une carence potentielle ? !
Reste à repenser l’alimentation
Nos moutons mènent une vie très simple, au plus près des besoins de leur espèce. Ainsi, ils mangent l’herbe qu’ils broutent sur les pâturages que nous avons à l’entretien. Ils boivent l’eau qui leur est acheminée par jerrycans. Pas de compléments alimentaires. Seulement quelques poignées de grains (un mélange de bouchons et de céréales aplaties) pour les attirer. Egalement un « cake bloc » en libre service. Soit un mélange compact de vitamines, minéraux, plantes et oligo-éléments additionnés de sel. Pas de pierre à lécher ou pierre à sel proprement dite.
N’ayant constaté aucune différence de laine entre les sujets placés sur différentes parcelles pendant les sept mois de « belle saison », il semble facile d’exclure également un éventuel manque lié à un herbage en particulier. Le seul élément qui émerge de l’ensemble est l’absence de pierre à sel. Plusieurs éleveurs voisins placent en libre service le cake bloc accompagné d’une pierre à lécher. Après enquête auprès du magasin agricole qui fournit ces produits, la réponse du technicien semble indiquer que l’absence de pierre la lécher pourrait induire un manque. Elle est effectivement plus chargée en sel que le cake bloc.
Timide réponse des moutons à notre proposition
Depuis le mois d’août de cette année 2018, chaque troupeau se voit donc proposer en libre service un cake bloc et une pierre à sel à lécher. Pour le moment, sans grand succès d’un point de vue enthousiasme des moutons qui ne semblent guère y toucher. Si l’on part de l’idée qu’ils ont une forme de sagesse qui les pousse à consommer ce dont leur corps a besoin, il semblerait qu’ils n’avaient guère besoin de cette pierre additionnelle. Bien entendu, il est trop tôt pour évaluer d’éventuels progrès dans la texture de la laine. Pour ce faire rendez-vous l’an prochain, quelques mois après la tonte de mai.
L’action mécanique sur la toison semble l’emporter
Alors faut il vraiment penser que ce feutrage est l’unique résultante de l’action mécanique que subit la toison? Les moutons de Ouessant D’Ailleurs sont-ils plus que d’autres exposés aux intempéries ? Ils bénéficient pourtant d’abris sur chacun de leurs terrains et d’une grange constamment ouverte mais toujours sèche en hiver. Ils vont et viennent à leur gré et choisissent ainsi leur degré d’exposition aux intempéries. En terme de place, lorsqu’ils sont tous dans la grange, seul le tiers de l’espace est rempli.
Il est malgré tout notable que chaque printemps présente un virage à 90 degrés dans leur gestion lors de la dernière semaine du mois de mars. En effet, le troupeau est alors réparti en différents groupes sur les terrains d’entretien, à une période où la météo n’est pas favorable. Ils ne semblent pas en souffrir, car ils ne présentent pas d’attitudes corporelles trahissant l’inconfort. Malgré cela, il s’agit tout de même d’une transition nette et probablement rude pour leur métabolisme.
D’un point de vue mécanique, leurs toisons sont effectivement confrontées à l’action de l’herbe alors que précédemment ils étaient à l’hivernage sur un sol tondu à ras. Et pas de doute que le degré d’humidité est alors supérieur car les abris de prairie sont moins hermétiques que la grange d’hiver. Chaque igloo est prévu pour accueillir cinq moutons.
Rien n’est simple, il faut sans doute penser « multifactoriel »
Le constat de laine feutrée est le même à l’automne qu’au printemps. Il faut donc penser que si l’action mécanique de l’herbe sur les toisons mouillées est en cause, elle se produit aussi après la tonte du mois de mai. Pourtant, l’ensemble du troupeau se trouve dès les mois d’été sur des herbages courts voire rasés et au bénéfice d’une météo «bien sèche » comme cette année.
Alors plus probablement un phénomène multifactoriel. Une base génétique est peut-être quand même à incriminer. Les deux petits nouveaux achetés cette année seront surveillés de près. Ils sont effectivement arrivés avec une laine composée de filaments distincts et soyeux. Ceux de l’an passé ont déjà acquis la même toison que leurs camarades feutrés.
Faut-il aussi envisager une vie très (trop?) rustique? Additionnée parfois de quelques manques dus aux types de pâturages herbeux à disposition ? Difficile d’en juger. Ouessant-d-ailleurs planifie d’exporter d’ici quelques mois une petite partie de son cheptel sur d’autres pâturages bien éloignés de nos prairies suisses. Une vie encore plus rustique et libre les y attend. Il sera intéressant de constater si d’autres conditions de vie et d’autres pâtures auront un impact sur la qualité de la laine.
En attendant, heureusement, tous nos Ouessant ne sont pas feutrés. Certains ont encore une jolie laine, même si d’autres « font triste mine » à côté…
Votre blog est très intéressant. Merci!
Bonjour, faites-vous toujours de la location de moutons et vous déplacez-vous jusque dans le Jura? Merci
Bonjour,
Navrée de ne répondre que maintenant, votre commentaire s’est perdu dans l’univers virtuel… Oui, je fais toujours de la location de moutons que vous pouvez venir chercher chez nous (Romanens, canton de Fribourg, ou encore sur certaines parcelles que nous avons à l’entretien à proximité de Lausanne). Nous pouvons éventuellement vous les amener jusque dans le Jura, à voir avec vous.
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